Les clichés sur Marie-Antoinette sont nombreux. Si bien que l’on a souvent une image erronée de la dernière reine de France, forgée à coups de « frivolité », de « brioche », de cheveux blanchis brusquement et autres idées reçues. Démêlons le vrai du faux avec ces 5 lieux communs ou légendes autour de la femme de Louis XVI.
1. « Qu’ils mangent de la brioche ! » Le cliché sur Marie-Antoinette qui lui colle à la peau
Vous avez en tête l’image du capitaine Haddock se débattant avec son sparadrap ? La brioche, c’est l’équivalent pour Marie-Antoinette du pansement dont l’acolyte de Tintin n’arrive pas à se défaire ! Selon la légende, en apprenant que le peuple affamé se dirigeait vers Versailles pour réclamer du pain en octobre 1789, la reine aurait rétorqué : « Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ! »
Qu’on se le dise, Marie-Antoinette n’a JAMAIS prononcé cette phrase ! Aucun contemporain ne la reprend ; aucun historien n’en trouve trace dans les archives de l’époque révolutionnaire ; aucun des – nombreux – biographes de la reine ne valide ce dire. Et pourtant, on continue de l’attribuer à Marie-Antoinette. Si vous demandez à quelqu’un de citer une phrase célèbre de la reine martyre, il y a de fortes chances pour qu’il vous parle de la brioche !
Alors d’où vient cette idée reçue persistante qui s’est fixée dans la mémoire collective ? Les études de Véronique Campion-Vincent & Christine Shojaei Kawan, et de Cécile Berly font la lumière sur ses origines. Il semble que ces paroles aient été attribuées pour la première fois à Marie-Antoinette en 1843 seulement, par Alphonse Karr dans sa revue satirique Les Guêpes.
« On se rappelle quelle indignation on excita, dans le temps, contre la malheureuse reine Marie-Antoinette, en faisant courir le bruit que, entendant dire que le peuple était malheureux et qu’il n’avait pas de pain, elle avait répondu : « eh bien ! qu’il mange de la brioche ». »
En réalité, la rhétorique des gâteaux, brioches et même croûtes de pâté qu’un puissant – vivant en-dehors des réalités de son peuple – invite à substituer au pain en temps de crise apparaît dans nombre de pays. Il s’agit là d’une forme de schéma narratif de conte. Confronté à des émeutes de la faim, le noble résout le problème par une pirouette qui témoigne de son mépris et de son ignorance de l’autre. À la fin, il est tué par ceux dont il s’est moqué. D’ailleurs, au XXe siècle, l’auteur de livres pour enfants Erich Kaestner relaye l’anecdote de Karr sur Marie-Antoinette dans Pünktchen und Anton (1931) :
« Il y a environ cent cinquante ans, les plus pauvres parmi le peuple de Paris marchèrent un jour sur Versailles où habitaient le roi de France et sa femme. […] Les pauvres gens se rangèrent devant le château et crièrent : “Nous n’avons pas de pain, nous n’avons pas de pain ! Tant ils étaient miséreux. La reine Marie-Antoinette regardait par la fenêtre et demanda à un officier : — Que veulent donc ces gens-là ? — Majesté, répondit l’officier, ils veulent du pain, ils n’ont pas assez de pain, ils sont trop affamés. La reine secoua la tête avec étonnement : — Ils n’ont pas assez de pain ? demanda-t-elle. Mais alors, qu’ils mangent de la brioche !” Vous pensez peut-être qu’elle disait cela pour se moquer des pauvres gens. Non, elle ne savait pas ce qu’est la pauvreté ! Elle pensait que si par hasard on n’a pas assez de pain, on n’a qu’à manger de la brioche. Elle ne connaissait pas le peuple, elle ne connaissait pas la pauvreté, et un an plus tard, elle eut la tête tranchée. Tant pis pour elle. »
Depuis, l’idée reçue s’est répandue comme une traînée de poudre bien qu’aucune source n’atteste de sa véracité.
2. Marie-Antoinette a vidé les caisses du royaume : info ou intox ?
Marie-Antoinette était dépensière. Ce serait mentir que de prétendre le contraire. Mais cette affirmation vaut surtout jusqu’au début des années 1780, après quoi, elle s’assagit. Mais le mal est fait. La reine aime les vêtements, les bijoux et le jeu. Sa modiste attitrée, Rose Bertin, facture ses toilettes à des sommes astronomiques, réglées par la maison de la reine. Les bijoux, eux, sont payés directement par Marie-Antoinette, parfois à crédit, parfois grâce à un coup de pouce du brave Louis XVI qui connait bien le goût de sa femme pour les diamants. Le jeu quant à lui est redoutable, car la reine lui voue une véritable passion. Elle est attirée par le « gros jeu », celui qui peut faire gagner beaucoup comme faire perdre une fortune en quelques instants. Le pharaon l’entraîne dans un tourbillon de dettes. Là aussi, le roi éponge les créances, sur sa cassette personnelle. La reine est rapidement surnommée Madame Déficit. Le scandale de l’affaire du collier en 1785 décuple la haine à son encontre, même si elle est victime d’une escroquerie montée de toutes pièces par Jeanne de la Motte. Dès lors, tous les maux du royaume lui sont imputés.
Pourtant, en y regardant de plus près, les dépenses de Marie-Antoinette, bien que moralement dérangeantes, représentent une part infime dans le budget de la monarchie. Dans sa biographie de la reine, l’historienne Hélène Delalex les évalue à 0,74 %. Le célèbre rapport de 1781 du directeur général des finances Jacques Necker nous éclaire sur les postes les plus dispendieux pour le royaume : les guerres, notamment d’Amérique (65 200 000 livres) et les pensions versées à la noblesse (qu’il juge excessives ; pensez donc, 28 000 000 livres, quand les dépenses des maisons du roi, de la reine, de Madame Royale, de Madame Élisabeth et des filles de Louis XV représentent, en cumulé, 25 700 000 livres !).
3. Une reine de France frivole et légère : LE lieu commun sur Marie-Antoinette
Voilà un cliché répandu sur la dernière reine de France ! Comme pour les dépenses abordées au point précédent, il y a bien sûr une part de vérité. Mais c’est bien mal connaître la vie de Marie-Antoinette que de réduire le personnage à cette caractéristique. Alors qu’en est-il exactement ? Pour bien comprendre, une recontextualisation est nécessaire. L’archiduchesse d’Autriche arrive en France en 1770, à l’âge de 14 ans. Elle est alors très immature et paraît bien plus jeune que son âge. C’est encore une enfant, propulsée dans un monde d’adulte. Pendant 4 ans, jusqu’à la mort de Louis XV, elle doit composer avec une étiquette pesante, une cour plutôt hostile au parti autrichien, un mari réservé et peu avenant, et le poids de la lignée Bourbon à perpétuer alors que la seule idée de tomber enceinte l’effraie. Éprise de liberté, souhaitant vivre dans l’insouciance comme à Vienne, elle cherche à s’évader et trouve dans les divertissements un précieux exutoire. Une fois reine, en 1774, elle peut se laisser aller à toutes ses envies : sorties à Paris, bals, jeux, achat de toilettes et de bijoux, vie à l’abri des regards au petit Trianon… Marie-Antoinette s’étourdit dans un tourbillon de plaisirs qui va faire les choux gras des pamphlétistes.
Mais sa mission première à la cour de France la rattrape, qu’elle le veuille ou non. Elle est là pour donner un héritier au trône et le dauphin se fait (trop) attendre ! Il faut dire que pendant 7 ans, il ne se passe pas grand-chose dans le lit de la reine. Elle fait tout pour fuir ses responsabilités d’où la frivolité qu’on lui reprochera. Contrairement à une légende bien ancrée, Louis XVI n’a aucun problème médical ; les jeunes gens sont juste dans l’impasse : elle ne ressent rien pour son époux (pire, il la rebute), a peur de la grossesse et est un vrai oiseau de nuit ; il est gauche, sans doute peu porté sur la bagatelle et couche-tôt. Il se passe donc 7 ans avant qu’enfin l’union soit véritablement consommée. Marie-Thérèse, le premier enfant du couple, naît le 19 décembre 1778. 3 autres suivront entre 1781 et 1786.
La maternité assagit Marie-Antoinette. Elle-même le reconnaît :
« Si j’ai eu anciennement des torts, c’était enfance et légèreté, mais à cette heure, ma tête est bien plus posée », Marie-Antoinette à sa mère Marie-Thérèse, 16 août 1779.
Elle prend plaisir à s’occuper de ses enfants et se montre d’ailleurs très impliquée pour l’époque. Elle est adulte désormais et ses préoccupations changent. Les diamants ne l’intéressent plus. Elle aspire toujours à échapper au carcan de la cour, mais elle recherche moins à s’étourdir dans les plaisirs d’autrefois. Adieu la frivolité. La Révolution française la fait entrer en politique, elle que Louis XVI avait toujours pris soin de maintenir à l’écart du pouvoir. Elle joue un nouveau rôle, bien plus sérieux, en négociant des alliances pour renverser l’insurrection populaire, tandis que le roi se montre hésitant. Cette facette de Marie-Antoinette stratège est moins connue, mais l’histoire aura préféré retenir les errements de jeunesse d’une enfant propulsée trop tôt dans un monde d’adulte.
4. Marie-Antoinette nue : une légende tenace sur son arrivée en France
La cérémonie de remise de l’épouse en 1770 a donné lieu à une légende selon laquelle Marie-Antoinette aurait été exposée nue devant l’assemblée avant de passer la frontière française. Cette version est confirmée par Madame Campan, femme de chambre de Marie-Antoinette, dans ses mémoires :
« Lorsqu’on eut entièrement déshabillé Madame la dauphine, pour qu’elle ne conservât rien d’une cour étrangère, pas même sa chemise et ses bas (étiquette toujours observée dans cette circonstance), les portes s’ouvrirent […]. »
Ces dires sont contestés par les historiens et à prendre avec précaution pour deux raisons :
- Madame Campan n’était pas présente lors de cette cérémonie ;
- Elle rédigea ses mémoires que bien plus tard, sous la Restauration.
Alors qu’en fut-il réellement ? Au Moyen-Age il est vrai, la livraison de la future épouse s’accompagnait d’un examen corporel approfondi visant à s’assurer que la jeune femme ne présentait aucun « vice caché ». La tradition s’est progressivement humanisée : on parait simplement la promise de vêtements et de bijoux du pays d’accueil. Cette coutume elle-même s’allégea au fil du temps. S’il arrivait encore de rhabiller la jeune femme, c’était surtout pour éviter un fashion faux pas. Heureusement, Vienne était au diapason de Paris concernant la mode. Marie-Antoinette revêtit donc la robe faite d’étoffes d’or qu’elle avait apportée, à l’abri des regards, du côté autrichien du pavillon bâti spécialement pour l’occasion sur l’île des Épis, entre Kehl et Strasbourg.
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5. Le syndrome Marie-Antoinette ou le spectre de la canitie subite
Une rapide recherche sur Google amène inévitablement aux mêmes résultats : Marie-Antoinette aurait vu sa chevelure blanchir d’un coup la nuit précédant son exécution le 16 octobre 1793 (faites le test en ouvrant un nouvel onglet et en tapant « cheveux blancs Marie-Antoinette » !). Info ou intox ? Eh bien, c’est à moitié vrai. Les cheveux de la reine auraient blanchi soudainement, mais pas la veille de son exécution. La bizarrerie médicale se serait produite bien plus tôt, après l’échec de la fuite de la famille royale et l’arrestation retentissante à Varennes le 21 juin 1791. Madame Campan témoigne :
« La première fois que je revis Sa Majesté après la funeste catastrophe du voyage de Varennes, je la trouvai sortant de son lit ; ses traits n’étaient pas extrêmement altérés, mais, après les premiers mots de bonté qu’elle m’adressa, elle ôta son bonnet et me dit de voir l’effet que la douleur avait produit sur ses cheveux. En une seule nuit ils étaient devenus blancs comme ceux d’une femme de soixante-dix ans. »
Rosalie Lamorlière, la dernière servante de Marie-Antoinette à la Conciergerie, livre une autre version. La captive lui aurait confié que sa chevelure se serait éclaircie après les journées d’octobre 1789. Notons que la domestique n’observe de zones blanchies que sur les tempes et précise dans son témoignage, qu’il n’y en avait ni sur le front ni dans les autres cheveux.
Le blanchissement soudain porte désormais le nom de « syndrome Marie-Antoinette ». Si les scientifiques sont sceptiques quant à la vraisemblance d’un tel phénomène, une étude de 2013 authentifie malgré tout 44 cas sur les 196 recensés dans la littérature médicale depuis 1800 (dont 21 sont en lien direct avec un stress émotionnel). Une explication « rationnelle » à la canitie subite de Marie-Antoinette fait toutefois consensus : le choc psychologique (des journées d’octobre ou de l’arrestation à Varennes) a pu provoquer une pelade sélective entraînant la chute des cheveux pigmentés, d’où l’impression d’un blanchissement brusque. Les contemporains signalent assez tôt en effet la présence de « fils d’argent » dans la chevelure de la reine, pouvant laisser penser qu’elle était poivre et sel relativement jeune (et rien d’étonnant à cela, j’ai moi-même des cheveux blancs depuis la vingtaine !).
La veille de son exécution, la reine n’a donc pas vu sa chevelure blanchir d’un coup. En revanche, elle a écrit une magnifique lettre d’adieu cette nuit-là. La connaissez-vous ? Lisez ou relisez maintenant la lettre de Marie-Antoinette à Madame Élisabeth.
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Stéphanie