La peintre favorite de Marie-Antoinette a immortalisé les personnalités de la fin du XVIIIe siècle à travers des tableaux et portraits d’une beauté saisissante. L’histoire de sa vie pourrait être un roman qui s’intitulerait : Élisabeth Vigée Le Brun, biographie d’une peintre talentueuse… et ambitieuse. Dès son plus jeune âge, elle révèle une maîtrise exceptionnelle des pinceaux, de la couleur et de la composition. Mais comment cette artiste hors pair parvient-elle à mettre sa palette au service de la reine de France ? Qu’advient-il de cette portraitiste, étroitement liée à la monarchie, quand gronde la Révolution ? Plongez aux côtés de Madame Vigée Lebrun dans les ors de Versailles et les méandres de l’Histoire.
Note : cette biographie de Louise Élisabeth Vigée-Lebrun a été rédigée par Gersende Delplancq, rédactrice web SEO de talent diplômée d’histoire. J’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à le lire. Bonne lecture !
Élisabeth Vigée Lebrun : d’orpheline à peintre de Marie-Antoinette
1755 : à Paris, une petite fille, Élisabeth, naît le 16 avril. Quelques mois plus tard, le 2 novembre, Marie-Antoinette, future reine de France, voit le jour à Vienne. Chacune à leur manière, ces deux femmes ont marqué leur temps. Leurs destins sont liés bien au-delà de la simple coïncidence des dates !
L’enfance d’une future artiste peintre
Élisabeth est la fille de Jeanne Maissin, coiffeuse d’origine paysanne, et de Louis Vigée, pastelliste. Celui-ci s’adonne déjà à la réalisation de portraits. Sans posséder la touche délicate d’un Quentin de La Tour, il est un membre reconnu de l’Académie de Saint-Luc. Cette corporation, comme beaucoup d’autres, régit alors la vie des métiers parisiens. Louis s’est constitué une clientèle suffisante pour subvenir aux besoins de sa famille. Celle-ci s’agrandit en 1758 d’un petit frère, Étienne. Élisabeth est proche de lui et de leur père.
Comme beaucoup d’enfants de la petite bourgeoisie, elle est envoyée jusqu’à ses 6 ans chez une nourrice, en Val de Loire. Puis elle entre comme pensionnaire à l’école du couvent de la Trinité, dans le faubourg Saint-Antoine. Elle le quitte définitivement en 1766. Louis Vigée partage avec elle ses connaissances en matière de dessin. Il s’émerveille des dons de sa fille. Mais un an plus tard, il meurt alors qu’Élisabeth n’a que 12 ans. Très touchée par ce décès, la jeune fille poursuit néanmoins son apprentissage. Elle a la chance d’être encouragée par des amis de son père. Doyen, Greuze et Vernet la conseillent. Elle travaille aussi au Louvre, dans l’atelier de Gabriel Briard. Grâce à la copie des maîtres anciens ou plus modernes, elle développe une technique et un style qui lui sont propres. Ses premières œuvres rencontrent un public.
Portraitiste de Marie-Antoinette : une consécration royale
« Les peintres me tuent et me désespèrent » (Marie-Antoinette à sa mère Marie-Thérèse, novembre 1774).
La reine exprime ainsi à sa mère sa profonde lassitude de ne pas trouver de portraitiste à son goût. C’est sans compter sur la rencontre à venir avec Élisabeth Vigée Lebrun !
Dès 1770, un tableau d’Élisabeth produit un certain effet à Paris : il s’agit d’un portrait de sa mère. S’ensuivent des commandes, de plus en plus nombreuses. En 1774, l’artiste suit les traces de son père en intégrant l’Académie de Saint-Luc.
Lors d’une promenade dans les jardins du Palais-Royal, lieu de mondanités, la jeune femme fait la connaissance de la duchesse de Chartres, future duchesse d’Orléans. Grâce à cette aristocrate, voici Élisabeth propulsée au cœur de la cour : elle obtient une première commande en 1776, émanant du comte de Provence, frère cadet du futur Louis XVI. L’artiste est belle, élégante, vive et a de la conversation : beaucoup de qualités qui plaisent à Marie-Antoinette. Sans compter ses talents picturaux ! En 1778, elle réalise ainsi le premier portrait de la souveraine, en grand panier, et devient peintre officielle de la reine. Cette dernière peut enfin envoyer à sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, une représentation d’elle-même qu’elle juge satisfaisante.
La reine et sa portraitiste se voient régulièrement jusqu’à la Révolution et plus de 20 portraits de Marie-Antoinette découlent de leurs rencontres. Elles entretiennent une relation familière, sans être amicale, mais partagent une même passion pour l’opéra.

Élisabeth poursuit son ascension. En 1783, elle souhaite intégrer la prestigieuse Académie royale de peinture et présente un tableau d’Histoire : La Paix ramenant l’Abondance. Mais sa candidature se voit d’abord refusée. Grâce au soutien de Marie-Antoinette et sur ordre du Roi, elle fait partie des 4 femmes à intégrer l’Académie cette année-là.
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Une vie personnelle foisonnante
À côté de son métier de peintre, la jeune Élisabeth connaît une vie personnelle bien remplie.
Sa mère s’est remariée dès la fin de 1767 avec Jacques-François Le Sèvre, un joaillier à la fortune établie. Les relations d’Élisabeth avec son beau-père sont hostiles. Il a tendance à s’approprier les premiers cachets qu’elle reçoit en tant que portraitiste.
En 1776, son mariage avec Jean-Baptiste Pierre Lebrun, marchand d’art et descendant du peintre de Louis XIV, lui ouvre les portes d’un monde artistique plus vaste. Le jeune couple voyage aux Pays-Bas et Élisabeth copie les maîtres flamands, en particulier Rubens. Sûr du talent de sa femme, Jean-Baptiste l’encourage à vendre ses tableaux à des prix élevés… et en récolte la majorité des bénéfices ! De leur union naît en 1780 Julie, surnommée « Brunette », qui devient très vite un modèle pour Élisabeth. En témoignent les portraits emplis de tendresse où mère et fille sont représentées. La vie familiale de Madame Vigée Lebrun est loin d’être de tout repos. Son mari se révèle joueur et s’endette facilement, comme elle le révèle dans ses Souvenirs. Pourtant, le salon de leur hôtel particulier devient très prisé : des compositeurs célèbres, comme Gluck, et des aristocrates le fréquentent. Élisabeth y improvise un jour un souper costumé « à la grecque » qui marque les esprits.

Élisabeth Vigée Lebrun : une biographie dans la tourmente de l’Histoire
Malgré cette ascension et ces succès, la peintre officielle de Marie-Antoinette est, elle aussi, emportée par le tourbillon de la Révolution. Ce séisme marque durablement sa vie. Dans ses Souvenirs, elle confie, amère :
« Les femmes régnaient alors, la Révolution les a détrônées »
L’émigration durant la Révolution française : un exil à travers l’Europe
Le 5 octobre 1789, Élisabeth Vigée Lebrun, déguisée en ouvrière, fuit Paris avec sa fille. Sa qualité de peintre officielle de la reine met en péril leurs existences. S’ouvre alors, sans qu’elle le sache, un exil à travers l’Europe de près de 13 ans. Celui-ci la mène d’abord en Italie. Entre Turin, Florence, Naples et Rome, elle réalise une sorte de grand tour ou voyage d’études et découvre les maîtres italiens. Elle reçoit aussi de nombreuses commandes de la part des aristocraties locales. À Naples, elle peint Marie-Caroline, la sœur aînée de Marie-Antoinette. En 1791, elle envisage de rentrer en France, mais la nuit de Varennes avec la fuite avortée de la famille royale, le 21 juin, l’en dissuade. L’annonce des massacres du 2 au 7 septembre 1792 sonne le glas de son projet. Parvenue à Vienne, Élisabeth y séjourne 3 ans, pendant lesquels elle est déchue de sa citoyenneté française et inscrite sur la liste des immigrés. Son mari et son frère, restés à Paris, sont emprisonnés quelques mois. L’artiste apprend, tel un choc, que la reine de France a été guillotinée le 16 octobre 1793. En 1794, Jean-Baptiste Lebrun obtient le divorce afin de protéger le patrimoine du couple. Finalement, la portraitiste dont la renommée gagne l’Europe, se lance dans un périple de 3 000 kilomètres pour rallier Saint-Pétersbourg. Catherine II règne alors sur la Russie et Élisabeth rencontre une aristocratie francophile dont elle réalise les portraits. Elle se lie même d’amitié avec Stanislas, roi de Pologne.
Le Retour en France : entre désillusions et nostalgie de l’Ancien Régime
Après 7 ans de travail, les commandes se raréfient à Saint-Pétersbourg. La voilà dans l’obligation de déménager à Moscou. Élisabeth est aussi minée par le mariage de sa fille Julie, en 1799, qu’elle désapprouve. Rongée par des accès de mélancolie, elle décide de rentrer alors en France. Depuis juin 1800, son nom ne figure plus sur la liste des immigrés. Elle arrive à Paris en 1802 mais peine à s’habituer aux transformations de son pays. Hostile à l’Empereur, elle tente un voyage en Angleterre, mais subit des calomnies ainsi que la rude concurrence des quelque 800 portraitistes locaux. Les années suivantes, ses voyages la conduisent en Suisse. Auprès de Mme de Staël, elle prend goût à la peinture de paysages.
Installée ensuite dans sa maison de Louveciennes, en région parisienne, Mme Vigée Lebrun est surprise en 1814 par l’arrivée des Prussiens. Elle ne doit la vie sauve qu’à son domestique qui parle allemand. Son existence personnelle s’assombrit encore quand sa fille, revenue à Paris et séparée de son mari, sombre dans l’indigence. Julie meurt en 1819, sans s’être pleinement réconciliée avec sa mère.
Souvenirs, l’autobiographie d’Élisabeth Vigée Lebrun
Malgré les chagrins et les déceptions, les soubresauts de l’Histoire de France, comme la révolution de 1830, n’arrêtent en rien l’Art d’Élisabeth Vigée Lebrun. Elle organise toujours des salons appréciés et y reçoit la jeune génération romantique comme les écrivains Vigny et Chateaubriand.
Dans les années 1830, elle entreprend de rédiger ses mémoires, intitulés tout simplement Souvenirs. Elle les dédicace à une amie rencontrée en Russie, la princesse Kourakine. Pendant 10 ans, aidée de ses nièces, elle confie patiemment aux pages blanches le récit de sa vie « romanesque ». Élisabeth a toujours été attentive à l’image qu’elle véhicule et ne compte pas laisser d’autres auteurs retracer son existence. Dans la première partie de sa carrière, elle multiplie les autoportraits qui exaltent sa beauté. Ils sont aussi le meilleur moyen de revendiquer son talent. Avec ses Souvenirs, elle entend parachever l’image d’une femme peintre accomplie, tout en diffusant la profonde nostalgie qui l’habite. Élisabeth Vigée Lebrun demeure très attachée au souvenir de l’Ancien Régime et de la reine qu’elle a tant représentée.

Un style pictural au service de Marie-Antoinette et de la monarchie
Se définissant presque comme autodidacte, Élisabeth Vigée Lebrun manie pourtant à la perfection la couleur et la composition. Elle nous laisse un vibrant témoignage pictural de son époque et de la famille royale.
Un « je-ne-sais-quoi » qui fait mouche
L’expression est de l’écrivain Boileau Despréaux (1806). Il traduit le degré de maîtrise auquel est parvenue l’artiste. Au-delà de la simple ressemblance de ses toiles avec la réalité, elle possède de véritables capacités d’écoute et d’observation de la nature humaine. Ainsi, ses portraits mettent en valeur ses modèles et en adoucissent les traits. Élisabeth adopte aussi un style vestimentaire simple et confortable, qui se diffuse parmi les membres de l’aristocratie qu’elle fréquente. Sa vie et son art n’ont de cesse de se mêler, comme elle l’écrit dans ses Souvenirs :
« Peindre et vivre n’a été qu’un pour moi. »
Une touche artistique qui plaît à la reine Marie-Antoinette
On observe, dans l’évolution des portraits de Marie-Antoinette réalisés par sa peintre fétiche, ce même cheminement. En 1779, le visage de la reine est encore empreint des traits caractéristiques, parfois peu flatteurs, des Habsbourg. Au fur et à mesure, Élisabeth Vigée Lebrun les estompe et modèle une image plus douce, flattée. Elle accompagne aussi une évolution qui tend à laisser de côté l’apparat. En 1783, pour son premier salon de peinture, l’artiste expose un portrait de la souveraine en robe de gaulle, une simple tenue de mousseline de coton, portée habituellement comme linge de corps. Cette représentation audacieuse, aux antipodes du décorum, provoque un scandale. Elle est vite remplacée par un autre portrait dit « à la rose », où Marie-Antoinette porte un vêtement plus conforme à son image royale.
Être peintre officielle ne comporte pas que des avantages ! Le travail d’Élisabeth sera encore critiqué en 1787 avec Marie-Antoinette et ses enfants. Pire, l’artiste subit des calomnies dans sa vie personnelle : on l’accuse d’être la maîtresse de Charles Calonne, contrôleur général des finances, très impopulaire, de Louis XVI.

Quoiqu’il en soit, la reine manifeste pendant plus de 10 ans beaucoup d’estime pour l’œuvre d’Élisabeth Vigée Lebrun. L’image que nous conservons de la souveraine doit énormément à ses tableaux colorés, à la grâce certaine. La portraitiste s’est hissée, grâce à son talent et son réseau, au sommet de la peinture et de la société de son temps. Elle a traversé la Révolution, mais son cœur continue de battre pour l’Ancien Régime. Malgré les vicissitudes de l’Histoire et de sa vie personnelle, les tableaux de Mme Vigée Lebrun continuent de forger une partie de notre vision de la monarchie et de Marie-Antoinette.
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Sources :
- Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Élisabeth Vigée Lebrun, Flammarion, 2011, 688 p.
- Élisabeth Vigée Lebrun, Souvenirs, Paris, H.Fournier, 1835-1837, 3 tomes.
- Article issu de Gallica sur la vie d’Élisabeth Vigée Lebrun, consulté le 15/10/2023
- Article issu de Gallica sur le style d’Élisabeth Vigée Lebrun, consulté le 15/10/2023
2 réponses
Bonjour ,
J’ai lu les » Souvenirs » de Madame Elisabeth Vigée Lebrun ! Un livre passionnant , qui regorge d’anecdotes et d’épisodes vécut par cette artiste de talent . Cependant , pratiquement aucun témoignage nous informe de la fin de son existence , et des conséquences liées à son attaque cérébrale . Il me semble avoir lu qu’E.V.L , dans la rédaction des ses mémoires , n’y voyait plus et était atteinte de cécité ! On ne sait pas réellement dans quel état pouvait être ses yeux à ce moment précis de son existence . Voyait-elle encore un peu ? ou était-elle totalement aveugle ? A priori aucune information n’a pu être établie quant a son handicap visuel ! La raison pour laquelle , ses mémoires ont été rédigées par sa nièce , assistée d’une de ses dernières élèves !
Bonjour André,
Oui, ces mémoires sont un vrai plaisir à lire.
Quant à la cécité de la peintre, elle est en effet peu documentée. C’est frustrant de ne pas pouvoir tout savoir, mais l’historien doit composer avec les blancs de l’histoire malheureusement.