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Madame du Barry biographie

Madame du Barry Biographie : La vraie histoire

Qui est la comtesse du Barry ; la vraie je veux dire ? S’il y a bien une figure historique sur laquelle circulent un tas d’idées fausses, c’est elle ! Souvent dépeinte comme vulgaire, manipulatrice et vénale, la véritable Jeanne est aux antipodes de cette légende noire. Profondément humaine, sincère, généreuse et naturelle, elle a connu une ascension sociale fulgurante, menant une vie d’aristocrate que ses origines roturières ne laissaient pas présager. Sa chute, aussi, a été brutale pendant la Révolution française. Découvrez les mille facettes de la biographie de madame du Barry, la courtisane devenue favorite de Louis XV.

Qui est madame du Barry ? Une filiation bien mystérieuse…

La date de naissance, tout comme la filiation, de Jeanne du Barry reste encore aujourd’hui auréolée de mystères et d’incertitudes. Ce qui est sûr, c’est que Jeanne est la fille naturelle de Anne Bécu, couturière. Fille naturelle ? C’est-à-dire bâtarde. À en croire l’acte ci-dessous, elle serait née le 19 août 1743 à Vaucouleurs, dans la Meuse.

Acte de naissance de Jeanne Becu, future comtesse du Barry.
« Jeanne fille naturelle d’Anne Bequ dite Quantiny et né le dix neuvième aoust de l’an mil sept cent quarante trois, a été baptisée le même jour. Elle a eu pour parain Joseph Demange et pour maraine Jeanne Birabin qui ont signé avec moi ». Baptêmes, Mariages, Sépultures (1741-1751), 2 E 546 (4), Archives départementales de la Meuse.

 

L’identité de son père reste incertaine, comme souvent dans ce cas de figure. Longtemps, les historiens ont affirmé qu’il s’agissait de Jean-Jacques Gomard de Vaubernier, un moine défroqué se faisant aussi appeler « frère Ange ». Après tout, c’est ce qu’indique l’acte de mariage de Jeanne datant du 1er septembre 1768. Or, cet individu n’existe pas dans les archives de l’état civil. Pas de naissance pas de mort. Alors récemment, un historien de renom, Emmanuel de Waresquiel, est parti sur les traces du vrai père de Jeanne du Barry. Mais la pelote de laine du Barry est emmêlée. Au prix d’une enquête parfois difficile à suivre – car basée sur beaucoup d’hypothèses et de convictions – il a tiré sur le fil Claude Billard Dumonceau, un riche financier parisien pour qui Anne Bécu travaillait en tant que cuisinière. Ce serait lui, le vrai père de Jeanne du Barry. Aussi, elle ne serait pas née en 1743, mais en 1745. Elle n’aurait pas vu le jour en France, mais en Italie, à Albenga, où elle aurait aussi été baptisée. Hélas, les archives de l’église de la petite commune italienne restent muettes pour confirmer cette piste : l’année 1745 est une des seules manquantes.

Il faudra donc se contenter de cette hypothèse en ce qui concerne la date, le lieu de naissance et la filiation de Jeanne du Barry. En tout cas, la bâtardise, la honte de ses origines et l’absence de reconnaissance paternelle ne sont pas sans conséquence sur la jeune femme en devenir :

« Jeanne a passé sa vie à se sauver du sentiment d’abandon qui a marqué son enfance. […] Elle a caché ses origines, elle a fait de sa vie un théâtre de miroirs et de silences. », Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, Une ambition au féminin.

Aux origines de la biographie de Madame du Barry, il y a Jeanne Bécu

Originaire de Vaucouleurs, dans la Meuse, Anne Bécu part s’installer à Paris, sans doute pour chercher du travail.  Elle devient cuisinière chez le financier Billard Dumonceau. Mère célibataire de deux enfants – Jeanne et Claude –, elle finit par épouser le 18 juillet 1749 un jeune homme, Nicolas Rançon, fils de boutiquiers parisiens et domestique du même maître. Emmanuel de Waresquiel soupçonne Billard Dumonceau d’avoir arrangé ce mariage pour régulariser la situation matrimoniale de sa maîtresse.

Les sources permettant de retracer le parcours de Jeanne dans sa petite enfance sont lapidaires. Jusqu’à ses 8 ans, elle vit à Paris, rue Neuve-Saint-Étienne-de-Bonne-Nouvelle, dans le quartier Bonne-Nouvelle. Elle grandit entre quartier populaire et fréquentation du beau monde chez le patron de sa mère, qui a pour elle une affection particulière (et pour cause !). En 1753, elle est placée dans une maison d’éducation pour filles « de condition », le couvent des filles de Sainte-Aure situé dans l’actuel 5e arrondissement. La pension annuelle, qui s’élève à 500 livres, est hors de portée de bourse d’une modeste cuisinière : une livre tournois vaut approximativement 20 sols et le salaire d’un journalier dépasse rarement 30 sols. Alors qui paye ? Sans aucun doute Billard Dumonceau.

Gravure du couvent de Sainte-Aure, vue des jardins
Vue, depuis les jardins, d’une façade du couvent de Sainte-Aure. Gravure.

Les religieuses et jeunes filles du couvent vivent selon la règle austère de Saint-Augustin, rythmée par les prières et la dévotion. Les pensionnaires apprennent l’écriture, le chant, les travaux d’aiguille, et lisent. Jeanne manifeste une piété sincère et discrète. Ses années à Sainte-Aure lui permettent d’acquérir un fond d’éducation soigné de jeune fille bourgeoise qu’elle n’est pourtant pas. Elle y développe surtout une passion pour la lecture qui ne la quittera pas.

Jeanne reste au couvent jusqu’en 1758. Elle a alors 13 ans (ou 15 ans suivant l’hypothèse retenue pour son année de naissance). Pourquoi en sort-elle à cet âge sans projet professionnel ou de mariage ? Que fait-elle ensuite ? Là encore, les sources manquent et personne ne sait vraiment ce qu’elle devient jusqu’en 1764. Nombre de ses biographes la font travailler dans un magasin de modes tenu par un certain Labille ou chez le coiffeur Charles Lametz. La vérité, c’est que personne n’en sait rien ! Alors restons prudents et humbles face aux blancs de la biographie de Madame du Barry.

« Il est des commencements de vie qui parfois se perdent en conjectures. Et tant mieux. Je préfère encore les silences et la nuit au grand jour forcé de certains biographes qui, à force de vouloir trop en dire, finissent par se fourvoyer et suivent à l’aveugle des pistes incertaines et comme tracées tout exprès pour eux. Pourquoi ne pas l’accepter ? On ouvre une porte et la pièce est vide. » Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, Une ambition au féminin.

De Jeanne Becu à Jeanne Beauvarnier la courtisane

La beauté de madame du Barry

Une chose est sûre, plus Jeanne grandit, plus sa beauté éclate. Les contemporains sont unanimes sur ce point, et qu’ils l’aiment ou non, tous louent son physique. Le prince de Ligne précise dans ses mémoires quelques unes de ses caractéristiques : « Bien faite, blonde à ravir. Front dégagé, beaux yeux, sourcils à l’avenant, visage ovale avec de petits signes sur la joue pour la rendre piquante comme pas d’autres, bouche au rire leste, peau fine, poitrine à contrarier le monde. » Des grains de beauté sur le visage lui tiennent lieu de mouches naturelles. Quant à la taille de madame du Barry, elle est précisée sur un laissez-passer de 1792 : 5 pieds (soit environ 1,63 m, ce qui est plutôt grand pour une femme à l’époque, la hauteur moyenne des hommes étant de 1,65 m). Elle zézaie un peu, ce qui lui donne un air enfantin tout à fait charmant.

Portrait de madame du Barry en Flore, par Drouais.
Portrait de la comtesse du Barry en Flore, huile sur toile, François-Hubert Drouais, 1769.

Betsi, la fille cachée de la comtesse du Barry

Madame du Barry aurait eu un enfant en 1762, à l’âge de 17 ans. C’est l’étonnante découverte faite par l’historien Emmanuel de Waresquiel. Betsi (ou Betzy) serait la fille de Jeanne du Barry et d’Arnaud de Laporte, un magistrat financier. Betsi est élevée au couvent parisien de Sainte-Élisabeth, où elle vit confortablement avec sa grand-mère, Anne Bécu. Elle reste toute sa vie dans le sillage de Jeanne, celle-ci veillant au bien-être de son enfant. On retrouve souvent le prénom Betsi dans les livres de comptes de Jeanne, qui la fait généralement passer pour sa nièce ou pour sa sœur. À en juger par le portrait ci-dessous, l’enfant lui ressemble : mêmes yeux en amande, même douceur dans le regard.

Portrait de Betsi, la fille de Jeanne du Barry. Drouais, 1770.
Betsi, la fille de Jeanne, est sans doute la part la plus cachée de la biographie de madame du Barry. Portrait de Drouais de 1770 intitulé « Mlle Betzy cueillant des roses ».

Jeanne la courtisane

On retrouve Jeanne dans les sources en décembre 1764, dans un des rapports de l’inspecteur de police Marais, observateur du libertinage dans le Paris galant du XVIIIe siècle. Il la croise dans une loge de la Comédie-Italienne et la décrit comme une jeune fille de condition : « C’est une personne de l’âge de 19 ans, grande, bien faite, l’air noble et de la plus jolie figure. » (Notons que l’indication de son âge en 1764 la fait bien naître en 1745).

 

Extrait du premier rapport de police dans lequel apparaît Jeanne du Barry.
Extrait du premier rapport de police dans lequel Jeanne du Barry apparaît, sous son nom d’emprunt, Melle Beauvarnier : « Le marquis Dubary […] a fait paraître en loge lundy dernier à la Comédie-Italienne la demoiselle Beauvarnier sa maîtresse. C’est une personne de l’âge de 19 ans, grande, bien faite, l’air noble et de la plus jolie figure ; certainement il cherche à la brocanter avantageusement. » Gallica, BnF.
Quelques mois auparavant, elle a fait la connaissance d’un certain Jean du Barry, un avocat issu de la petite noblesse de Gascogne monté à Paris dans le but d’y faire fortune. Si l’homme est débauché, cynique et sans scrupules, il a aussi de l’esprit, de l’humour et une répartie bien sentie qui peuvent le rendre magnétique. Il exerce ses « talents » dans l’univers de la galanterie, menant une vie de roué comme on dit à l’époque, c’est-à-dire sans principes ni moralité. « Courtier des plaisirs » (selon une expression de l’ambassadeur Mercy-Argenteau), il lance les jolies jeunes filles dans le monde, profitant des retombées de ces placements. Autrement dit, il est proxénète. Jeanne et Jean ont peut-être eu une rapide liaison, mais ils forment surtout un duo où Jeanne n’est pas la jeune femme exploitée que l’on a souvent décrite. Dans le salon du Gascon, elle tient lieu de maîtresse de maison, se faisant même déjà appeler « comtesse du Barry ». Plus qu’une prostituée, elle est une courtisane choisissant librement ses amants ou protecteurs. Pas n’importe lesquels, ceux de la haute administration royale, amateurs d’art et de lettres comme elle, parmi lesquels Maximilien Radix de Sainte-Foy, le sulfureux duc de Richelieu ou encore Jean-Benjamin de La Borde, premier valet de chambre du roi Louis XV.

La comtesse du Barry, favorite de Louis XV

Qui de Sainte-Foy, Richelieu ou La Borde met Jeanne du Barry sur le chemin de Louis XV ? Aucun historien ne le sait vraiment. En tout cas, elle n’a pas besoin de Jean du Barry pour assouvir ses ambitions de réussite sociale et s’extraire de sa modeste condition de naissance. Ainsi, sa route croise celle du roi fin 1767 ou début 1768. Elle a 23 ans. Louis XV, 58 ans, dépressif suite à une vague de décès dans son entourage, a le coup de foudre pour la pétillante Jeanne dont il n’ignore pas les origines (même si, maîtrisant l’art de la dissimulation, elle ne lui a peut-être pas tout dit).

L’idylle, que d’aucuns jugent passagère, s’avère en réalité sérieuse et sincère. Le roi souhaite maintenant présenter la jeune femme officiellement à la cour, mais pour cela, elle doit être mariée. Un époux de papier est vite trouvé en la personne de Guillaume du Barry, le frère de Jean. L’union est célébrée le 1er septembre 1768. C’est ainsi que Jeanne Bécu (« demoiselle Jeanne Gomard de Vaubernier » sur l’acte d’état civil) devient officiellement la comtesse du Barry, et peut entrer légitimement dans la vie de Louis XV. Place à la favorite !

Louis XV par Drouais en 1773.
Louis XV par François-Hubert Drouais en 1773 : il a 63 ans.

Jeanne s’installe discrètement à Versailles fin 1768 en attendant sa présentation officielle. Mais la jeune femme ne fait pas l’unanimité à la cour et son « intronisation » est sans cesse repoussée. Il faut dire que le puissant ministre Choiseul, qui aurait bien vu sa propre sœur endosser le rôle de favorite en titre, est à la manœuvre. Il fait enquêter sur ses origines et orchestre des campagnes de libelles qui, inévitablement, la réduisent à ses origines populaires et à son passé pas si lointain de courtisane. Le duc de Croÿ témoigne de l’effervescence qui règne à Versailles dans l’attente de l’événement :

« Ce qui occupa le mois de décembre et celui de janvier, la cour et la ville, fut une présentation qu’on craignait d’une dame du Barry qui faisait grand bruit. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que c’étaient les libertins qui criaient le plus haut. […] Les sages, qui aimaient le roi, pleuraient, priaient et se taisaient. […] Cela s’allongea et on ne sut plus quoi dire, mais ce fut une prodigieuse fermentation à la cour. »

Repoussée de nombreuses fois, la présentation a finalement lieu le samedi 22 avril 1769. La cour (ou une partie du moins, car certains boycottent le rendez-vous) est réunie dans le grand cabinet du roi. Jeanne se fait attendre, puis paraît enfin, resplendissante dans son grand habit couvert de satin blanc brodé de fils d’or et parée d’une coiffure sophistiquée signée Legros de Rumigny. Elle s’acquitte avec brio de ses 3 révérences en marche arrière. C’est un sans-faute.

Coiffure ressemblant à celle qu'arborait la comtesse du Barry lors de sa présentation officielle à Versailles.
C’est ce type de coiffure élaborée qu’arbore madame du Barry lors de sa présentation à la cour. In : Second supplément de l’art de la coiffure des dames françaises, avec des estampes. Legros de Rumigny. Metmuseum.org

 

« Le roi est plus amoureux que jamais, à soixante ans, de la nouvelle dame. », le duc de Croÿ

Louis XV, fou amoureux, vit une seconde jeunesse aux côtés de la favorite : il a des envies de changement et reprend goût à la vie. Choiseul est exilé en décembre 1770 (ce qui n’empêche pas une partie de la cour de rester ouvertement hostile à Jeanne). La comtesse prend part à la chasse, au jeu, partage la passion du roi pour la physique et l’astronomie. Lui, le grand consommateur de femmes, n’a plus de maîtresses. Les rumeurs de mariage entre madame du Barry et Louis XV vont même bon train en début d’année 1772. D’ordinaire méfiant, Louis XV lui accorde une pleine confiance, l’associant à ses affaires politiques et diplomatiques. Les rares personnes à partager leurs moments d’intimité sont témoins de leur complicité. Elle le couvre de cadeaux : robes de chambre, tabatières, vestes… En privé, elle l’appelle « Monsieur ». Est-il utile de préciser qu’elle ne s’est jamais adressée à lui en disant : « La France, ton café fout le camp » ?

Les échanges épistolaires des amants ont été brûlés à la mort du roi, par précaution. Une seule lettre (de Louis XV) nous est parvenue, retranscrite de mémoire par Mercy-Argenteau dans un rapport à Marie-Thérèse du 15 octobre 1771 :

« Vous avez tort de croire que je vous aime moins parce que je ne vous ai pas répondu d’abord ; je vous aime toujours beaucoup et de même. »

Portrait de Madame du Barry en Flore, par Drouais, 1773.
Madame du Barry en Flore, par Drouais. Vers 1773. Château de Versailles.

Versailles à l’heure de la du Barry

Le goût du Barry

« La faveur de la favorite se mesure d’abord à ses changements successifs d’appartements », explique Waresquiel. En effet, progressivement, Jeanne est installée au plus près du roi, au deuxième étage du château. Elle vit dans l’ancien appartement de la belle-fille de Louis XV et mère de Louis XVI, qu’elle aménage somptueusement avec un goût propre et résolument moderne. Elle lance des modes en matière d’ameublement comme celle des meubles incrustés de plaques de porcelaines peintes, dont la plus célèbre est cette élégante commode de l’ébéniste Martin Carlin, qu’elle se fait livrer pour sa chambre en 1772.

Commode de Madame du Barry ornée de plaques en porcelaine
Commode de Madame du Barry ornée de plaques en porcelaine peintes d’après des tableaux de Pater et Lancret. Martin Carlin, musée du Louvre.

Dotée d’une forte sensibilité à l’art et à l’esthétique, Jeanne du Barry se compose une riche collection de tableaux, bijoux et toilettes, rendue possible par les largesses de Louis XV. Il se montre en effet extrêmement généreux envers sa dulcinée, lui octroyant notamment rentes et pensions. Grande lectrice, elle possède aussi des milliers de livres, assez éclectiques, démontrant son intérêt tant pour l’histoire, que la poésie, la botanique ou les belles lettres. Louis XV souligne d’ailleurs la qualité du fonds de sa maîtresse, mieux choisi, selon lui, que celui de son ancienne favorite, la marquise de Pompadour.

« Nous la nommerons bibliothécaire de Versailles ! », Louis XV, à propos de la comtesse du Barry

Selon les comptes tenus par son banquier, durant les 6 années qu’elle a passées à Versailles, ce sont 6 millions de livres qu’elle a dépensées  : 1 million par an !

Louveciennes, le refuge de madame du Barry

Dans chaque résidence royale, la favorite a ses appartements, mais s’il y a une propriété qui a sa préférence, c’est celle de Louveciennes (ou Luciennes comme on disait alors). Elle lui a été donnée par le roi le 24 juillet 1769. Jeanne y entreprend d’importants travaux comme le fera plus tard Marie-Antoinette au Petit Trianon : elle fait construire une nouvelle aile, revoit la décoration intérieure, s’occupe des jardins, ajoutant orangerie, serre chaude, écuries, basse-cour, laiterie… Puis elle fait construire, sur le bord de la falaise dominant la Seine, un pavillon neuf de style grec abritant un pavillon de musique, inauguré en présence de Louis XV le 4 septembre 1771. Louveciennes devient son havre de paix.

Gravure d'une fête donnée dans le pavillon de Louveciennes en 1771 pour le roi Louis XV.
Fête donnée en l’honneur de Louis XV pour l’inauguration du pavillon neuf de Louveciennes, le 4 septembre 1771. La scène se déroule dans la salle de musique. Aquarelle de Jean-Michel Moreau, musée du Louvre.

 

Jeanne le caméléon

Jeanne gagne quelques soutiens à la cour, notamment les ducs d’Aiguillon et de Richelieu, et parvient à placer des proches : ses belles-sœurs Pischi et Chon du Barry et le fils de Jean du Barry, Adolphe. Mais une partie de la cour continue de la haïr en raison de ses origines de roturière et de prostituée. Pourtant, à la voir, rien ne laisse deviner son passé trouble. René de Belleval, chevau-léger de la garde du roi, est frappé par son adaptabilité aux us et coutumes versaillais. Il s’étonne même que n’y ayant pas été élevée, elle ait « pris le ton et les manières des femmes de la cour. » Elle plait au roi et à ceux de sa suite pour son naturel, sa spontanéité et sa sincérité de ton. Sous des apparences enfantines et gaies, elle n’en reste pas moins adroite, clairvoyante et tenace.

« Mme du Barry était bonne et aimait à obliger […]. On n’a jamais pu lui refuser cela, même ses plus grands ennemis. Bien différente en cela de Mme de Pompadour, qui n’oubliait jamais les injures et ne savait point ce qu’était pardonner, Mme du Barry n’avait point de rancune et était la première à rire de toutes les chansons que l’on faisait sur elle. », René de Belleval

Elle n’a pas l’esprit vengeur, en effet, le meilleur exemple en est le conflit qui l’oppose à Marie-Antoinette.

Marie-Antoinette et Madame du Barry : Dauphine contre favorite

Le 16 mai 1770, l’héritier du trône de France, le dauphin Louis-Auguste, épouse l’archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche. La toute jeune femme de 14 ans et demi se laisse rapidement tourner la tête par le clan anti-du Barry, représenté par les filles de Louis XV depuis le départ de Choiseul. Elle devient la figure de proue d’une fronde qui va durer jusqu’au décès du roi.

« D’un côté la favorite […] ; de l’autre “la nombreuse famille royale”. Deux mondes face à face qui ne se parlent ni ne se mélangent, et pourtant se partagent le roi. », Emmanuel de Waresquiel

Ce n’est pas de la jalousie. Marie-Antoinette méprise la favorite pour ses origines et ce qu’elle représente, la qualifiant même de « plus sotte et impertinente créature qui soit imaginable ». Bientôt, elle décide de ne pas lui adresser la parole, et reste sourde aux injonctions de sa mère l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche qui craint de gravement contrarier Louis XV. Le dédain de Marie-Antoinette, ouvertement affiché, laisse la comtesse du Barry mortifiée. Elle s’en plaint à son amant de roi, qui tente de faire plier l’indocile par l’intermédiaire d’un tiers, l’ambassadeur Mercy. Finalement, après moult tractations et un acte manqué, la dauphine finit par lâcher quelques mots à l’occasion des vœux du Nouvel An 1772 : « Il y a bien du monde aujourd’hui à Versailles ! » Ces paroles lancées à la cantonade, et aussi vagues qu’impersonnelles, peuvent sous-entendre qu’il y a précisément une personne de trop à Versailles. Mais madame du Barry s’en contente et ne semble pas en avoir pris ombrage.

Par la suite, Marie-Antoinette ne sera pas beaucoup plus loquace et continuera de snober la favorite. Celle-ci conserve malgré tout son flegme et son sang-froid face aux affronts répétés qu’elle essuie à la cour, de la part de la dauphine, mais également de tous ceux qui lui sont restés hostiles. Mercy note qu’elle reste « très attentive à ne rien faire qui put déplaire à Madame la dauphine ». Peu rancunière et faisant preuve d’une bonne volonté, elle accroche dans son appartement de Versailles un portrait de la future reine, commandé à François-Hubert Drouais.

 

Marie-Antoinette dauphine par Drouais, tableau commandé par Madame du Barry.
Marie-Antoinette dauphine par Drouais, 1773, Victoria et Albert museum, Londres. C’est sans doute ce tableau que commande madame du Barry pour ses appartements de Versailles, car il figure dans les inventaires de ses biens de juin 1774.

Exil à l’abbaye de Pont-aux-Dames après la mort de Louis XV

Le conte de fées s’assombrit lorsque Louis XV attrape la petite vérole fin avril 1774. Malgré les risques de contagion, Jeanne le veille tous les soirs. En journée, ce sont les filles du roi qui se pressent à son chevet. Pour apaiser les tensions dans ces temps d’incertitude sur le devenir du roi, Jeanne décide de s’éloigner de la cour, espérant la guérison de son amant, mais il s’éteint le 10 mai. Avant de mourir, Louis XV a pris le soin de confier ses lettres à son valet de chambre La Borde pour qu’il les détruise. La nouvelle de sa mort plonge la favorite dans une profonde douleur. Sur ordre du nouveau roi Louis XVI, elle est placée dans un couvent, près de Meaux, à l’abbaye de Pont-aux-Dames.

Ayant passé 5 ans au couvent de Sainte-Aure, elle s’acclimate facilement à son nouvel environnement et à la rigueur monacale. Elle se montre « bonne et généreuse, distribue des aumônes aux pauvres du village voisin et finit par s’attirer les grâces et l’amitié de l’abbesse Gabrielle de Fontenille » (E. de Waresquiel).

Petit à petit, Jeanne gagne quelques libertés : elle fait venir du personnel (cuisinier, domestiques) et peut recevoir quelques visites : sa mère et sa fille d’abord, mais aussi ses créanciers, car elle est très endettée : 1 million et demi de livres ! Pour les rembourser, elle vend une partie de ses bijoux, dont une parure de diamants pour 450 000 livres.

En mai 1775, un an après son arrivée, elle obtient l’autorisation de quitter le couvent. Ayant l’interdiction de revenir à Louveciennes, elle s’installe au château de Saint-Vrain, situé près d’Arpajon, qu’elle vient d’acheter. Là, elle mène une vie légère d’aristocrate et reçoit sa famille et ses amis, notamment le duc d’Aiguillon. Pour éponger ses dettes, elle continue de vendre : des biens et des tableaux. Mais elle s’ennuie ferme et Louveciennes lui manque. Finalement, l’interdiction de regagner son cher domaine est levée, et elle le retrouve en novembre 1776.

Louveciennes et le renouveau

Jeanne du Barry a désormais 31 ans, et elle commence un nouveau chapitre de son histoire. Elle mène à Louveciennes une vie de femme moderne : libre et indépendante. Elle aménage les lieux en faisant venir de Versailles ses meubles et œuvres d’art. Elle profite de ses amis fidèles. Les animosités passées s’estompent et de nouvelles amitiés naissent. La notoriété de la comtesse dépasse les frontières puisque même les ambassadeurs du sultan indien de Mysore, venus chercher l’appui du roi de France contre les Anglais, lui rendent visite et la couvrent de cadeaux.

« Nous mourrions d’envie de connaître la fameuse madame du Barry », Jean-Nicolas Dufort dans ses Mémoires.

À Louveciennes, le feu roi Louis XV est partout : en buste, en peinture, en médaillon. Jeanne pense souvent à son amant disparu. Et puis, l’amour entre de nouveau dans sa vie. Elle a une brève relation avec un voisin, lord Henry Seymour, aristocrate et politicien anglais de son état. Mais c’est un fidèle parmi les fidèles qui finit pas prendre son cœur, Louis-Timoléon de Brissac. Ce proche de Louis XV, ancien capitaine-commandant des Cent-Suisses de la Garde du Roi et, depuis février 1775, gouverneur de Paris, qui était attiré par Jeanne secrètement, se déclare. Ils vont vivre un amour fort et sincère durant 16 ans, partageant de nombreux points communs : la générosité, le goût pour l’esthétique et la passion des arts, des collections et des livres. Luxe, calme et volupté en somme… un triplet charmant qui vole en éclat quand tonne la Révolution française.

 

Portrait de Louis-Timoléon de Brissac, amant de madame du Barry
Portrait de Louis-Timoléon de Brissac, l’amant de madame du Barry. Anonyme, château de Versailles.

Révolution française, vol de bijoux et allers-retours à Londres

Si, d’abord, Madame du Barry est séduite par les idées de la Révolution, rapidement, elle glisse du côté opposé, apportant son soutien à Louis XVI et Marie-Antoinette. Elle n’a jamais tenu rigueur au couple royal des querelles du passé. Brissac logeant au palais des Tuileries dans le cadre de ses fonctions, il est même tout à fait probable qu’elle ait revu le roi et la reine dans leur prison dorée. Progressivement, la presse s’intéresse à Jeanne, la mettant dans le même panier que Marie-Antoinette : « Toutes les deux, au fond, se sont réfugiées, de façon très moderne, dans les douceurs de la vie privée. » (E. de Waresquiel).

Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1791, un cambriolage se produit à Louveciennes pendant que la maîtresse des lieux est chez son amant : des objets précieux et des bijoux sont subtilisés par 5 petites frappes. Le butin est tout de même estimé à 1 500 000 livres, une somme colossale ! C’est une grande partie du patrimoine de la comtesse du Barry qui vient de se volatiliser, la mettant dans tous ses états. Prête à tout pour récupérer son trésor, elle établit une liste précise du larcin, la fait imprimer et placarder, promettant une récompense de 2 000 louis (soit 6 000 livres) à qui l’aiderait. Grave erreur qui va l’entraîner dans sa chute, car elle déroge à la discrétion qu’elle s’est toujours imposée et étale au grand jour son patrimoine dans un contexte sociétal explosif. La chasse aux riches et aux aristocrates va bientôt commencer…

« Les diamants ont été le signe de son ascension, ce sont les diamants qui la perdront. » E. de Waresquiel

Affiche de récompense suite au vol des bijoux de la du Barry.

 

Le 15 février, Jeanne reçoit une lettre de l’une de ses connaissances, Nathaniel Parker Forth, l’informant qu’une partie de ses pierres a été retrouvée et les voleurs arrêtés, à Londres. Ni une ni deux, elle embarque à Calais. Mais les bijoux sont mis sous scellés dans l’attente du jugement. Seul un des voleurs étant Anglais et donc, condamnable, les 4 autres finissent par être libérés et disparaître dans la nature. Les procédures s’enlisent et Jeanne doit faire plusieurs allers et retours entre la France et l’Angleterre. Le quatrième sera celui de trop. Il a lieu dans un contexte de radicalisation de la Révolution, en octobre 1792. Le 9 septembre, Brissac a déjà payé de sa vie sa fidélité à la monarchie. De Londres, elle apprend la mort de Louis XVI le 21 janvier 1793, et le tour tragique que prennent les événements. Fin février, elle apprend également qu’elle est suspectée d’émigration et que des scellés ont été posés sur ses pavillons de Louveciennes dans l’attente de l’inventaire de ses biens. C’en est trop pour Jeanne, qui se risque à rentrer en France pour montrer sa bonne foi et surtout sauver son patrimoine, composé de tableaux, statues, objets… Mais une personne l’a prise en grippe et est bien décidée à l’entraîner à l’échafaud : un certain George Greive.

Fin de l’histoire de la comtesse du Barry

Figure de la misogynie révolutionnaire, sans doute attiré par l’appât du gain, Greive déploie toute son énergie pour faire tomber Jeanne du Barry. Il se fait aider dans son obsession par des proches de la favorite : Zamor, le page indien qui lui avait été offert enfant, Frémont, son ancien jardinier et Salanave, son chef de cuisine. Pendant qu’elle se débat pour faire lever les scellés de Louveciennes, le piège se referme lentement sur elle. Dénoncée, elle est arrêtée une première fois en juillet puis libérée en août faute de preuves solides. Elle bénéficie de soutiens, mais le comité de sûreté générale fraichement renouvelé la fait de nouveau arrêter pour incivisme et aristocratie. Elle est d’abord conduite à Sainte-Pélagie (un couvent reconverti en prison politique), d’où elle se bat pour prouver son innocence, pendant que Greive, installé dans la pavillon de  Louveciennes, s’affaire à préparer le dossier du procès. Le 4 décembre, Madame du Barry est transférée à la Conciergerie. Elle est jugée le 6 décembre par un tribunal révolutionnaire composé de 15 jurés et du célèbre accusateur public Fouquier-Tinville. Les témoins défilent à la barre, puis l’accusateur assène le coup de grâce avec un réquisitoire moralisateur et vengeur. Le verdict tombe à 23 h le soir du 7 décembre : elle est condamnée à mort. Sidérée, elle ne veut pas y croire. Son supplice est aggravé par l’espoir d’une libération en l’échange d’informations sur ses trésors cachés. Elle dresse une liste de 11 articles, mais ces révélations n’empêchent pas la sentence d’être exécutée le 8 décembre 1793 dans l’après-midi : elle est conduite en charrette place de la Révolution (ancienne place… Louis XV !) où elle est guillotinée. L’histoire dit que face à la mort madame du Barry aurait manqué de courage et qu’elle aurait supplié son bourreau de lui accorder quelques instants de vie supplémentaires. C’est faux. Tout au plus, d’après le Glaive vengeur, au moment de basculer, « elle poussa un cri affreux ». Peut-on le lui reprocher ?

Ainsi se termine la biographie de Madame du Barry. Si vous avez eu le courage de lire cet article en entier, vous voyez que la vraie histoire de Jeanne du Barry n’a rien de la légende que nombre de films et de séries véhiculent, encore et toujours…

👀 Envie de lire le portrait d’une autre roturière parvenue à s’extraire de sa condition, comme la comtesse du Barry ? Je vous propose de découvrir la biographie de Rose Bertin, la modiste de Marie-Antoinette !

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Bonne lecture et à bientôt pour un nouvel article.

Stéphanie

Sources :

– E. de Waresquiel, Jeanne du Barry, Une ambition au féminin, Tallandier, 2023.
– J. de Saint-Victor, Madame du Barry, Un goût de scandale, Perrin, 2013.
– J. C. Petitfils, Louis XV, Perrin, 2021
– D. Morsa, Salaire et salariat dans les économies préindustrielles (XVIe-XVIIIe siècle). Quelques considérations critiques. In : Revue belge de philologie et d’histoire, tome 65, fasc. 4, 1987. Histoire – Geschiedenis. pp. 751-784.
Rapports de police du commissaire MARAIS, adressés à M. de Sartine. (1759-1777). III Années 7 janvier 1763-23 déc. 1765.
Le Glaive vengeur de la République française… ou Galerie révolutionnaire contenant les noms, prénoms, les lieux de naissance… de tous les grands conspirateurs et traîtres à la patrie, dont la tête est tombée sous le glaive national

– C. Vatel, Histoire de Madame Du Barry d’après ses papiers personnels et les documents des archives publiques : précédée d’une introduction sur Madame de Pompadour, le Parc-aux-cerfs et Mademoiselle de Romans. Tome 3
Journal inédit du duc de Croÿ

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2 réponses

  1. Merci pour cette historique trés interessant pour me faire une idée j’aime regarder des documentaires et aussi j’ai vue le film de MaIienn sur Me Du Barry le seul film le plus récent bon Dimanche cordialement

  2. Bonjour Jean-Christophe,
    Je vous remercie pour votre message. Pour ma part, je n’ai pas du tout aimé le film de Maïwenn, trop éloigné de la véritable Jeanne du Barry.
    Bonne journée à vous.

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Qui suis-je ?

Je suis Stéphanie Soulier. J’ai craqué pour Marie-Antoinette après avoir vu un docufiction sur Arte. Depuis… j’ai décidé de lui consacrer un blog. En savoir plus sur ma démarche.

Stéphanie Soulier du site Passion Marie-Antoinette

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